Les voleurs de livres, réaction à l’article du Nouvel Obs

Le Nouvel Observateur de cette semaine (numéro 2680) vient de publier un article (page 100, ou en ligne ici http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20160317.OBS6652/special-salon-du-livre-voler-des-bouquins-est-ce-immoral.html) sur les voleurs de livres. Jacques Drillon et Jacques Graf signent cet article qui m’a laissée perplexe.

Je me suis tout d’abord interrogée sur la nécessité de publier une telle chose. Je sais bien que parler de vol de livres (ou d’autre chose) ne donnera pas envie aux gens qui ne le font pas de s’y mettre. Un article sur le drogue ne donne pas envie de se droguer. Et le sujet mérite certainement d’être abordé. Toutefois, l’article me semble très fouillis, au moins dans la première partie qui n’est qu’une suite de citations dans un grand mélange de noms. Par ailleurs, il me semble singulièrement incomplet, et est loin d’aborder le vol de livres dans son entièreté (ce n’était peut-être pas les intentions des auteurs).

Pour parler plus précisément de cet article, il m’a interpellée, ce dont je suis ravie, mais je me pose la question : mon univers culturel, et surtout littéraire, aurait-il été moins riche sans cette lecture ? J’en doute. J’ai appris que certaines personnes volaient des livres. Bon, je ne suis pas tombée de la dernière pluie, je sais bien que des gens volent des livres comme d’autres des rouges à lèvres ou des stylos.

Ce qui m’a gênée c’est tout d’abord d’afficher ça dans un magazine qui a pignon sur rue. Tout le monde connait le Nouvel Obs, y compris ceux qui ne le lisent pas. Pour être vraiment précise, ce n’est pas tant l’article qui me gêne, mais plutôt son ton, désespérément léger. On cite de grands écrivains et des grands noms de voleurs de livres. Ils avouent en toute simplicité que voler des livres est un défi, qu’on ne considère pas ça comme mal. Il y est même dit que voler des petites librairies est plus agréable car on a le sentiment que ça fait plus de dégâts. Cette dernière phrase est une citation d’un-e inconnu-e, mais les auteurs de l’article ont choisi de la publier. Phrase choc et dérangeante, mais peut-être dispensable. Ce ton désinvolte se poursuit jusqu’à la fin, une troisième page où l’on découvre que les peines encourues sont nulles. La police s’en fout, et bien souvent ne se déplace pas. Il arrive même que les vigiles ne l’appellent pas.

Alors oui, l’article dit aussi que les libraires se désolent (ils peuvent !) et que le vol est estimé à l’équivalent d’1% du chiffre d’affaires. Enfin, naturellement, des astuces sont données pour éviter que les livres munis d’un antivol magnétiques ne sonnent à la sortie, aux portiques. Normal. Je ne les répéterai pas ici. Je commence à mettre en doute le fait sus-cité, que cet article ne donnera pas envie de voler. A quoi bon préciser ces techniques ? Pour ajouter des lignes ? On me répondra sans doute, avec raison, qu’une simple recherche en ligne les rendaient accessibles à tous, encore fallait-il y penser. Enfin, préciser ces techniques donne-t-il un intérêt supplémentaire à l’article ? Non, aucun.

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D’un autre côté, cet article m’a mise face à mes propres contradictions. J’ai toujours considéré que l’objet livre n’avait aucune valeur. Son contenu a de la valeur, l’objet a un prix. Et ces deux éléments diffèrent (j’ai traité ce sujet assez longuement lors de mon éditorial de juillet 2015 sur Onirik.net : http://www.onirik.net/A-propos-de-la-valeur-des-livres). Je m’en fiche de corner les pages, de froisser la couverture, de casser le dos de mon livre. Je comprends que d’autres y fassent attention, le livre est un bel objet. Mais il reste un objet. C’est son contenu abstrait (le texte, dans ce qu’il représente et non dans sa nature même c’est-à-dire que ce ne sont pas l’encre et le papier qui jouent un rôle mais bien le signification qu’ils apportent) qui va me rendre heureuse, ou triste, ou qui va m’apporter un enrichissement. Donc, par extension, je prête, et même donne mes livres.

Evidemment, cette réflexion ne peut s’appliquer à tous mes livres (mon appartement, pourtant grand, déborde de livres de tous les côtés). Je serais bien hypocrite de dire que je n’accorde aucune valeur affective à mes objets livres. Parmi ceux-là entrent en ligne de compte mes livres dédicacés, et ceux signés (mes plus belles trouvailles sont un Asimov signé et une première édition signée du Hobbit, par Tolkien). Il y a un relent douceâtre de collectionnisme.

Mais j’ai déjà donné sans frémir mon tome 1 de Téméraire, de Naomi Novik (paru chez Pocket). J’ai adoré, j’ai l’intégrale, et ces ouvrages sont devenu une référence pour moi. Je suis documentaliste dans un collège/lycée, où je les ai également ajoutés au fonds et les conseille à mes élèves (qui adorent aussi). Je suppose que les contradictions font partie de tout un chacun. Mais ma bibliothèque reste un miroir de ma richesse intérieure. Des livres y entrent, d’autres en sortent, sans remord ni regret.

Je déplore également qu’une vraie réflexion n’ait pas été tentée, notamment sur le rôle des bibliothèques et sur le livre numérique.

Le rôle des bibliothèque va de soi, il me semble. On peut y lire autant de livres qu’on en rêve. la plupart des établissements se tiennent bien à jour en nouveautés et on y trouvera sans difficulté les derniers best-sellers. Le temps de la bibliothèque poussiéreuse mal éclairée qui ne propose que des vieilleries est révolu. On y trouve aujourd’hui des fauteuils confortables, un éclairage adapté et des livres sur tous les sujets, depuis les biographies de nos anciens présidents à la façon dont il faut manipuler des cristaux guérisseurs.

Le sujet du livre numérique est quant à lui plus complexe. En effet, le numérique se pirate. Oui c’est du vol également, nous sommes d’accord. Mais quand bien même il existe une nuance entre le pirate (numérique s’entend) et le voleur.

Gardons l’exemple des livres : si je pirate un livre, il appartient malgré tout toujours à l’éditeur et l’auteur. Il reste là où il était à l’origine, je n’ai pas soustrait l’objet à son propriétaire. Il s’agit d’un partage (désiré ou non). On pourrait citer Tomas Geha, qui, se voyant piraté par la Team Alexandriz, a proposé aux pirates d’ajouter un bouton paypal vers son compte pour qu’on puisse le payer si jamais on le souhaitait. Une pratique pas tout à fait honnête envers l’éditeur (Rivière Blanche ne possédait de toute façon pas les droits numériques de cet ouvrage) mais qui participe à la vie culturelle de ceux qui la créée. En effet, Thomas Geha a gagné 200 euros par ce biais. Une somme non négligeable quand on sait qu’un livre qui marche assez bien (entre 500 et 1000 exemplaires vendus) rapporte en moyenne moins de 700 euros à son auteur.

Quand on vole un livre dans une librairie, on enlève l’accessibilité de l’oeuvre à un autre client. Cette différence peut sembler subtile mais elle est selon moi essentielle. D’autant qu’il existe une pratique courante chez les pirates. Si les pirates débutants ont tendance à accumuler (ils téléchargent plus de livres / musiques / films qu’ils ne pourraient jamais lire / écouter / visionner), enivrés par cette soudaine liberté, l’expérience assagit. En pratiquant, les pirates commencent à choisir. Bien sûr, cette évolution a également lieu en fonction de l’âge du pirate. Et avec l’âge vient le pouvoir d’achat. L’article du Nouvel Obs souligne que les étudiants sont les plus gros voleurs, par manque de moyens. Or, les étudiants sont aussi les plus gros pirates pour cette même raison. Une chose qui vient avec l’âge, c’est le pouvoir d’achat. Et il faut savoir que les pirates ont un raisonnement différent du consommateur lambda. Le pirate est un testeur. Et si l’objet piraté lui a plu, il l’achète par la suite.

Je l’admets bien volontiers, il m’arrive de pirater un livre. Par exemple, The strain, de Guillermo Del Toro, une personne qui compte à mes yeux de par ses réalisations artistiques. Je doutais toutefois de ses qualités d’écrivain. J’ai donc piraté le tome 1 de sa trilogie (on parle bien ici de la trilogie littéraire et non de la série qui en a été adaptée. Ça m’a vraiment plu. J’ai acheté le livre par la suite. Je l’avais déjà lu, mais il était de mon devoir de soutenir l’artiste qui m’avais enrichie. Je n’ai pas piraté les deux tomes suivants, je les ai achetés également.

Mon mari est consultant informatique. Autant dire que les soirées entre amis sont souvent animées de conversations informatico-socio-politico-culturelles. J’ai donc posé la question. Quel est votre rapport au piratage ? Et bien, quel que soit le milieu touche (musique, livre, cinéma…), quand ça plait, les pirates achètent. Simplement, ils essayent avant. Et pourquoi pas ? On propose d’essayer une voiture, personne n’achèterait une voiture sans l’essayer avant ! En ce sens, on peut donc considérer que le piratage est une simple évolution de nos procédés de consommation.

Parler de la difficulté des petites librairies à survivre, sans nécessairement entrer dans la problématique Amazon, n’aurait pas été un luxe. Éventuellement, on aurait pu étudier les fonctionnements et soucis des petits éditeurs indépendants. Il n’y avait pas besoin d’aller bien loin dans les détails, juste de signaler qui étaient les vrais perdants lors de ces vols. ce n’était pas hors sujet et ç’aurait été plus instructif que de citer une énième personne célèbre qui vole dans les librairies.

L’article du Nouvel Obs est donc à mon sens à la fois incomplet, imprécis et surtout vaguement insultant. Son ton désinvolte désengage toute responsabilité des voleurs. Voler un livre, ça n’est pas grave, c’est facile et on ne risque rien. C’est ce qui y est dit. Il y a même une certaine gloire à le faire. Voilà ce qu’on en retient. Le sujet est toutefois intéressant et aurait pu être traité avec nettement plus de profondeur. Le ton pseudo-philosophique employé ici est inapproprié et condescendant. Espérons que les lecteurs du magazine auront faire la part des choses.

Loin de moi l’idée de vouloir écrire là une réponse à charge contre les auteurs, nos points de vue divergent et c’est exactement ce qui rend la lecture de magazines ou de livres intéressant, ça pousse à réfléchir. Il m’a semblé important, en tant qu’actrice, modeste je l’admets volontiers, du monde  littéraire contemporain.

Une réflexion sur “Les voleurs de livres, réaction à l’article du Nouvel Obs

  1. Je suis tout fait d’accord avec ton article.
    Et quant à la différence entre « Pirate » et « Voleur » également, je partage ton point de vue et je fais de même.
    L’article du NouvelObs est vraiment à gerber, surtout je ne vois vraiment pas où il veut en venir réellement.
    Info ? Pousse-au-crime ? Les deux ? Aucun ?
    Franchement, je m’interroge encore.
    Autant, lorsque nous en avions parlé, le tableau paraissait net, autant là, ça parait vraiment merdique.
    Comme on le disait: « un article pour combler des pages vides ».

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