J’ai récemment reçu un mail d’Amazon qui me proposait de venir visiter leur locaux. Un peu surprise, j’ai lu les conditions, et finalement, j’avais bien envie de dire oui.
On dit en effet beaucoup de mal des usines Amazon françaises, et ça m’intéressait de vérifier tous ces « on dit » par moi-même. Je réserve donc au plus près de chez nous (à deux heures de route quand même… et je me suis fait flasher sur le trajet ! 90 au lieu de 80 km/h, grrr), à Boves, près d’Amiens.
Nous avons profité de la matinée pour visiter Amiens, et surtout, passer à la maison de Jules Verne. Je vous recommande le détour, ce musée est exceptionnel, et il est émouvant de voir où l’écrivain a composé toutes ses histoires. Par ailleurs, Amiens est une très jolie ville, toute de vieilles pierres et de briques, ce fut une brève mais agréable balade.
Nous devions nous présenter à 13h45 à l’accueil. Nous étions une vingtaine de personnes. Et nous avions reçu des consignes assez précises :
Evidemment, il y a eu des gens pour arriver en chaussures à talon ou ouvertes. Des baskets leur ont été prêtées. Même si je m’en doutais, j’ai regretté de ne pas pouvoir faire de photos. On nous a expliqué que c’est pour éviter que des employés se voient pris en photo et pour éviter l’espionnage industriel.
Dès l’accueil le ton est donné. Un immense slogan est affiché :
A vous aussi ça vous fait penser à autre chose, n’est-ce pas ? Bon, on va éviter le point Godwin d’entrée de jeu, mais quand même…
Nous traversons des vestiaires, et arrivons dans un immense hall qui fait office de salle de repos, de pause et de restaurant. Il y a des canapés, des poufs, des ordinateurs, une playstation, des distributeurs, des toilettes, et un petit restaurant au fond. On nous explique que le repas coûte environ 3 euros (entrée plat dessert), à quelques centimes près (on nous a dit le prix exact mais j’écris ce billet 3 jours après la visite, j’ai oublié). Si les employés préfèrent, il peuvent amener leurs repas et utiliser les micro-ondes mis à leur disposition. C’est très joli, très propre, et très aseptisé. Ça n’a pas vraiment de personnalité mais j’imagine que tous les entrepôts Amazon sont les mêmes dans le monde, d’où ce sentiment de lissage. Seuls 5 posters de Jules Verne sur un mur un peu caché nous indique où l’on est. On apprendra plus tard que les salles de l’usine portent les noms des choses remarquables de la région.
On nous accueille très bien, 3 personnes pour vingt visiteurs. On nous offre du café et des boissons, on nous équipe d’une veste bleue, d’un casque pour pouvoir bien entendre le guide, Rémy.
Et c’est parti pour la visite à proprement parler. Au premier abord, on est vite noyé sous les anglicismes. Ici c’est le pick, là le retail, et voici l’inboxing. Même s’il n’est pas nécessaire de parler anglais pour travailler chez Amazon, le vocabulaire d’entreprise est définitivement anglophone.
Nous traversons un immense entrepôt où sont stockés les produits. Détail qui a son importance, l’entrepôt de Boves est spécialisé dans les articles grand format. Nous ne verrons donc pas d’étagères pleines de livres.
Nous avons pu assister à deux déchargements de camions, de deux façons différentes. Chaque colis est mené à une personne grâce à des rouleaux. Cette personne doit le mesurer (une machine le fait pour elle) et l’envoyer au bon endroit pour être rangé. L’empoyé-e dispose d’un siège et le rythme est plutôt tranquille, les colis ne se bousculent pas sur le tapis.
Nous avons poursuivis vers le rangement des articles. C’est là que c’est très étonnant, on s’attend logiquement à voir des rangées et des rangées de produits identiques. Et bien non ! Amazon pratique le rangement aléatoire. Chaque objet est rangé dans un casier au hasard, là où il y a de la place. Il est repéré grâce à un code barres, et des employés vérifient l’inventaire tous les jours, il y a des postes à part entière qui sont dédiés à ça. Cela évite les embouteillages en cas de forte demande d’un même produit.
Nous allons après ça découvrir l’emballage pour envoyer au client. C’est la partie qui m’a le plus plue. C’est hypnotisant. L’employée que nous avons observée était vraiment très rapide. Peut-être qu’elle en faisant un peu trop parce que nous étions là ? Tout d’abord, elle scanne le produit. Son écran lui indique quelle taille de carton choisir. Elle replis les pans du carton, met l’objet dedans, tend les mains vers le distributeur de papier pour caler l’objet, et le papier descend tout seul. Après quoi elle passe le carton dans un sas qui le scotche, applique l’étiquette ou l’adresse du client s’est imprimée, et met le carton dans un chariot. J’ai compté, elle réalise environ 4 à 5 colis par minute. Quel rythme ! Son plan de travail est parfaitement pensé et organisé pour réaliser le moins de mouvements possibles.
Nous avons fini la visite par les tableaux où employés, managers et patrons communiquent. Un employé réclamait par exemple que des instruments de musique soient mis à disposition dans la salle de repos. Les formations, mutations et autres informations sont indiquées également, le tout sur tableau blanc et des feutres sont mis à disposition pour toute remarque.
Nous avons pu nous asseoir, faire une photo souvenir, boire un coup et avons reçu un petit cadeau (une gourde estampillée Amazon). Nous avons pu parler avec des employés et avec nos guides.
Points positifs :
– je m’attendais à une usine vraiment très robotisée, avec finalement assez peu d’employé-e-s. Mais au contraire, même si les employé-e-s sont fortement aidés par les robots, il y a une vraie force de travail humaine. Dans cette usine, on compte 400 employé-e-s en CDI et ce chiffre va prochainement monter à 500. Quoi qu’on en dise, dans un pays où il est difficile de signer un CDI, c’est appréciable.
– le confort des employé-e-s compte pour l’employeur. En effet, tout est mis en oeuvre pour éviter les accidents et la lassitude. Chaque prise de poste se fait en musique pour que chacun puisse s’échauffer. L’entreprise installe des tapis amortisseurs de chocs sur les postes où il faut rester debout sur place. Des chaussures légères, des gants et outils conçus spécifiquement pour le travail pénible sont fournis aux employés. L’entreprise améliore constamment son équipement (il leur a été dit que les chariots étaient très lourds, ils en ont installés de nouveaux avec 30% de friction en moins, par exemple). Les tâches sont certes répétitives, mais environ toutes les deux heures, chaque employé en change (on passe de l’emballage au rangement, ou au déchargement, ou à l’inventaire… on ne reste pas 4 heures à emballer des produits).
– l’esprit d’entreprise est très fort. On n’a pas trop ça en France, c’est surprenant de voir à quel point tout est fait pour faire des employé-e-s une famille. Il y a plusieurs concours organisés (échelle locale, nationale ou mondiale) qui permettent de gagner des swaggies, avec lesquels on peut s’offrir des produits (on les a vus et il y a des choses vraiment pas mal). Les employés se charrient entre eux (il y a un mini code de la route à respecter sur place, et si on se trompe, on doit offrir des bonbons à ses collègues). Beaucoup de formations sont proposées (l’anglais a beaucoup de succès). Les postes sont évolutifs. Vous pouvez parfaitement n’avoir aucune qualification mais toucher à tout pour choisir ce que vous préférez. Un employé nous a dit qu’il est ravi de son travail parce qu’il a connu 4 postes en 2 ans, et pour quelqu’un comme lui qui aime bouger, c’est parfait. Il y a des employé-e-s de tout âge. On a vu des jeunes mais aussi des gens plus âgés. Il y a également une mixité agréable. Les avantages de l’entreprise sont tout de même considérables : -10% sur les produits, repas a 3 euros, 13e mois, mutuelle. Pour un travail d’usine, c’est pas mal. Alors oui, le boulot reste du travail d’usine, mais à mon avis, il y a beaucoup d’usines qui sont bien pires. En tout cas, les gens qu’on a vus étaient souriants.
– on arrive à la grande question : et combien ils payent ? Curieusement, on nous l’a dit : smic + 20% quand on est en CDI dont pour un travail non qualifié, je trouve ça respectable.
Après, mise en scène parce qu’on était là ? On ne le saura jamais.
Points plus négatifs :
– la visite a duré deux heures, et deux heures pour une personne handicapée (comme moi…) c’est très long. A la fin j’avais affreusement mal au dos, j’étais épuisée. Une petite pause serait nécessaire.
– le système de casque. Encore une fois, c’est sans doute le plus simple pour la majorité des visiteurs, mais… et les personnes malentendantes ou sourdes ? A aucun moment il ne nous a été demandé si l’un de nous avait un handicap. C’est bien validiste tout ça. J’ai perdu en qualité de visite car je n’ai pas pu tout entendre.
Bref, même si Amazon reste une entreprise qui ne paye pas ses impôts en France et écrase les prix au grand désespoir notamment des éditeurs, y travailler ne m’a pas semblé l’horreur qu’on voudrait bien nous faire croire. Oui, le rythme est soutenu, et j’aurais bien voulu qu’on nous parle d’intégration de travailleurs handicapés, car clairement, ça n’a pas l’air d’être un endroit où c’est possible.
En tout cas, on a appris plein de choses, vu plein de machines étonnantes et c’est clairement une visite qui vaut le coup d’être faite.
Si vous voulez vous inscrire et aller visiter les locaux à votre tour, c’est par ici !